intégralité de Son@rt 019

Isidore Isou

Rituel somptueux pour la sélection des espèces.
dit par Isidore Isou le 6 mars 2001


Rituel somptueux pour la sélection des espèces.
interprété par Maurice Lemaître et un choeur d'amis en 1958,
publié sur un disque 45 t pilonné par la maison de disques.


Entretien d'Isou avec Jacques Donguy (extrait de 30')
17 novembre 1998 :


suite de l'entretien avec Jacques Donguy :

Isidore Isou est né le 31 janvier 1925 dans le village de Botosani en Moldavie, sous le nom d'Isidore Goldstein. Isou était son deuxième prénom, qui est devenu le nom. Il était le fils d'un épicier en gros. Pétri de culture française, comme toute cette génération en Roumanie, il cherchera même à fréquenter Paul Morand, antisémite notoire, qu'il rencontre à Bucarest à l'ambassade de France pendant la guerre. Isou était en Roumanie sioniste et communiste, comme on le voit dans son livre autobiographique de 1947 : "L'agrégation d'un Nom et d'un Messie".

Isidore Isou a pu quitter la Roumanie pour Paris grâce à une bourse du Parti communiste accordée par Anna Pauker, qui était juive et communiste. En effet, la Roumanie était sous influence communiste dès 1944. Il arrive à Paris, via Milan, en août 1945.

L'idée originale du lettrisme se situe en Roumanie. C'est suite à la lecture d'une mauvaise traduction en français de Kayserling où "vocables" est employé pour "mots", ce qui fait penser au roumain "vocale", "voyelles", que l'idée du lettrisme lui est venue. "Le lettrisme m'a permis d'aller au-delà des termes chargés de signification, jusqu'à la richesse verbale pure, indifférente à la signification". En fait, en Roumanie, il connaissait Tzara, roumain comme lui, mais ni Hausmann, ni Schwitters, ni Khlebnikov. C'est, selon lui, de Roumanie qu'il amènera le manuscrit dactylographié dans ses bagages, de ce qui va devenir "Introduction à une nouvelle poésie et à une nouvelle musique".

C'est à son arrivée à Paris en 1945 qu'il rencontre Gabriel Pomerand (1925 - 1972), qui venait d'avoir 19 ans, dans une cantine pour juifs déportés. Ils discutent ensemble de l'oeuvre de Lautréamont et se lancent dans la "folie lettriste". Donc premier compagnon.

La "première manifestation lettriste" aura lieu dans la salle des sociétés savantes le 8 janvier 1946 à 21 heures, 8 rue Danton, dans le quartier de Saint Germain-des-Prés. Interviennent dans l'ordre Gabriel Pomerand ("De Homère au Lettrisme"), Isidore Isou ("Première Lettre aux Lettristes"), F. (Georges) Poulot et Guy Marester. Donc conférence et lecture de poèmes. Puis il y aura les nombreuses lectures, au Tabou par exemple, la fameuse cave de Saint Germain-des-Prés.

Toujours en 1946, une revue, "La dictature lettriste", 1 seul numéro, fondateur : Isou, secrétaire de rédaction : Gabriel Pomerand, où le lettrisme est défini comme "le seul mouvement d'avant-garde artistique contemporain". Intervention de Pomerand dans la revue : "pour vaincre, le lettrisme doit être purification, vengeance, terreur". Il faut aussi évoquer le "Manifeste de la Poésie Lettriste" qu'Isou date de 1942 où il annonce la "Destruction des MOTS pour les LETTRES".

Evidemment il y aura polémique, à cause du poème phonétique, avec Iliazd (Ilia Zdanévitch), l'auteur de "Ledentu le Phare", présent à Paris, au cours d'une conférence donnée par celui-ci en 1946, où les lettristes présents dans la salle ont remis en cause l'antériorité des futuristes russes. Une autre conférence d'Iliazd qu'il donnera en 1947 à la salle de Géographie, toujours dans la quadrilatère de Saint Germain-des-Prés, s'intitule : "Après nous le lettrisme", et se terminera par un pugilat, conférence où il réaffirme l'antériorité des futuristes russes, antériorité qu'il démontrera dans un livre publié en 1949, "Poésie de mots inconnus". Polémique dont la presse se fera l'écho.

On sait qu'Issu va publier 2 livres chez Gallimard en 1947. Comment est-il entré en contact avec Gallimard? C'est à l'occasion du scandale qu'il a provoqué à la première au Vieux Colombier d'une pièce de théâtre de Tzara intitulée "La Fuite" le 21 janvier 1946. "Mais je ne savais pas que dans la salle, il y avait Aragon et Gaston Gallimard". Or il faut savoir qu'Aragon avec Eluard et le CNE tenait toute l'édition française, dont Gaston Gallimard, compromis dans la collaboration (La NRF, Drieu La Rochelle). Aragon était communiste, Isou lui aussi. Maurice Nadeau reprend en première page dans le journal "Combat" l'incident. Donc à l'époque une certaine visibilité médiatique.

Deux livres donc chez Gallimard, "Introduction à une nouvelle poésie et à une nouvelle musique" et "L'agrégation d'un Nom et d'un Messie". Poésie et musique. L'idée principale en était que la musique était ramenée à la voix, instrument des instruments, pour constituer avec la musique un art unique.

Le groupe lettriste va se constituer, avec une première génération historique. Dans l'ordre chronologique, Pomerand, Dufrêne, Estivals, Wolman.

L'accueil du mouvement a d'abord été positif dans la presse, comme en témoigne l'article de Guy Marester "Naissance du lettrisme" dans le journal "Combat" du 5 juillet 1946, mais aussi un article avec un peu d'humour dans le New York Times du 26janvier 1947 : "The gallic Literary Scene : a Report from Paris" où Isou est présenté comme la continuité de dada et du surréalisme.

Les publications lettristes seront surtout des auto-publications, d'abord avec "Les escaliers de Lausanne", puis avec le "Centre de Créativité et Lettrisme", en fait Maurice Lemaître. Les nombreux livres publiés comme "Initiation à la haute volupté", livre où sont mélangés typographie et hypergraphie, s'expliquent économiquement par les nombreux livres "sous le manteau" qu'il publiait sous son nom ou sous des pseudonymes, livres qui étaient imprimés par un imprimeur rue Gît-le-Coeur, gratuitement pour les premiers, à travers la maison d'édition fictive "Les Escaliers de Lausanne". Ces publications de livres érotiques dans les années cinquante, système de survie économique qu'il partageait avec d'autres lettristes, n'était d'ailleurs pas sans danger. "La mécanique des femmes" lui valut la prison, et c'est Cocteau qui fera circuler une pétition signée notamment par Breton pour le sortir de là.

En 1949, Isou publie "Traité d'économie nucléaire : le soulèvement de la jeunesse", où il développe sa théorie économique telle qu'il la décrit dans son entretien. Livre qui sera le vivier de mai 68 via le situationnisme.

En 1951, Isou sort le film "Le traité de bave et d'éternité", film en fait tourné entre le 15 août 1950 et le 23 mai 1951, 1h 45', 16mm., noir et blanc, voix off : Gil Wolman, Maurice Lemaître, Jean-Louis Brau. Quatre procédés : Il déconnecte le son de l'image, il gratte la pellicule et la couvre de rayures, il utilise des plans détournés, il envisage la possibilité d'un film sans images. La présentation a lieu au Festival de Cannes en avril 1951, en off. Isou n'était pas invité. Pendant plusieurs jours, les lettristes protestent. Finalement le film est projeté hors festival au cinéma Le Vox rue d'Antibes le vendredi 20 avril 1951 au matin. Un jury parallèle et sauvage est constitué avec Raf Valone, Enzio Malaparte et Jean Cocteau. Un prix est créé pour la circonstance, le "Prix de l'Avant-Garde". Cocteau prendra la défense du film dans un article de "Combat". Autre conséquence, au cinéma Le Vox, il y a rencontre d'Isou avec un jeune lycéen nommé Guy Debord.

L'oeuvre d'Isou va se développer aussi vers ce qu'il appelle l'art infinitésimal, dont un bon exemple est le "Sonnet infinitésimal" ou l' "Opus aphonistique n°1" : "Penser à un texte quelconque connu et le réciter de mémoire, sans émettre de son, en bougeant les lèvres et la langue, - et même en gesticulant sans faire entendre le moindre bruit, dans le plus complet silence".

Isidore Isou va s'éteindre le 28 juillet 2007 rue St André-des-Arts à Paris. Il avait 82 ans. Peu d'échos dans les média écrits, juste un court article dans la rubrique nécrologique du "Monde", où on l'associe à Guy Debord.

J. D.

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